Lettres du Chef qui Ouvre l'Orchestre

La durée officielle d’une répétition d’orchestre en France est 3 heures, dont une pause réglementée de 20 minutes.

4 heures avec un supplément.

3 répétitions en amont d'un concert symphonique sont le standard, auxquelles s'ajoute une répétition générale. Au total, 4 répétitions.

Pour un concert le vendredi, on doit s'y prendre au plus tard le mercredi précédent ! Idéalement le lundi.

Un opéra demande entre un et plusieurs mois de préparation, car l'opéra combine tous les arts, et pas uniquement le son.

Avec nos musiciens, nous avons vécu une aventure lors de la création du spectacle Naruto Symphonic Expérience, ciné-concert d'une durée de 2h40 interprété par 52 musiciens de l'orchestre ODINO.

Nous avons monté ce spectacle en deux répétitions. C’est peu !

Lire une fois ce programme (« déchiffrer ») prenait l’intégralité du temps de répétition : pas le temps de "travailler", chercher, rater, recommencer. Aucun filet ... Uniquement le temps de lire une fois la musique. Et puis concert !

Face à cette situation délicate pour tout musicien et tout chef, voici comment nous avons procédé.

Le Temps étant le point dangereux dans ce cas, j’ai fait le choix en tant que chef d'orchestre de consolider d'abord nos deux autres piliers : l’espace et l’humain. 

L'espace, c'est tout ce qui concerne notre activité, la musique. Cela couvre la partition jusqu'à l'acoustique du lieu.

Un mois avant, nous nous assurions avec le staff que chaque musicien commença sa préparation individuelle. Certains musiciens s’y prennent trente jours avant, d’autres un jour. Mais tous doivent arriver prêts, partitions réglées et annotées par les soins du chef de pupitre et du chef d’orchestre.

Notre deuxième pilier est l'humain.

Nous souhaitions que chaque musicien comprenne et adhère à l’enjeu complexe lié au mélange de quatre cultures musicales dans ce spectacle : le rock, la musique japonaise, la musique classique et la musique de film.

Constituer une équipe ayant les qualités humaines d’ouverture nous est apparu comme une nécessité.

Aucun engagement à la légère, surtout face à un tel défi ! Nous avons mis 3 semaines à constituer notre "Dream Team".

Seuls des musiciens ouverts à de telles perspectives (maîtrise de la partition, envie de se dépasser) pouvaient se libérer des contradictions apparentes pour se concentrer sur le point central : le manque de temps. 

Ainsi, avec une préparation rigoureuse de chaque détail et un casting formidable, nous nous sommes donnés les chances de défier l’horloge lors de cette fameuse journée de répétition.

La répétition arrive. C’était un jeudi. Concert le vendredi.

La veille, j’étais dans un sentiment croisé d’excitation et d’appréhension.

Une erreur, et les conséquences seraient immédiates.

J'avais aussi confiance, car je savais que nous avions donné le meilleur de nous mêmes, et qu'humainement l'équipe était belle. 

Lors de la répétition, je n’ai pas fait de grand discours. Pas le Temps ! 

Simplement un "Welcome" et puis tout de suite : "La répétition dure 3 heures, l’œuvre aussi ! Alors, concentrons-nous bien. Et cherchons une seule chose : l’unité.  Bonne séance à tous !"

Et hop ! 3,4…Musique ! 

En résumé, l'important est l'unité du groupe. Et l'unité, c'est l'équilibre.

Préparer un orchestre, c'est déceler les dangers à venir, qui peuvent détruire l'équilibre.

Ici, le pilier du Temps devait être conscientisé, évoqué en équipe et compensé par une sur-mobilisation des piliers Espace et Humain. 

Le bénéfice supplémentaire a consisté dans le plaisir de réussir tous ensemble, en ressentant l'immense retour d'énergie généré par ce travail efficace. 

Dans cette expérience l'orchestre s'est "crédité" d'une confiance colossale, qui selle nos liens pour de futurs projets.

En quelque sorte, nous n'avons pas "perdu notre temps"...

Sylvain AUDINOVSKI